Edmond

«Au fait, j'ai croisé Edmond hier, il viendra te voir dimanche !» clamait ma mère. Au plaisir non dissimulé sur le visage de mon père, je comprenais que cette visite s'annonçait déjà comme un jour de fête ! Mon père était un solitaire, ses seules distractions étaient le jardin, le bricolage et la pêche à la ligne ! En prenant de l'âge, lui qui était si économe en mots, devenait intarissable en souvenirs de guerre. Faute d'auditoire, il allait chercher dans les livres le témoignage de ceux qui comme lui avaient vécu le pire. Mais revenons, à Edmond, sa visite s'annonçait comme un évènement d'une telle importance que mon père soudain reprenait vie. Il orchestrait cette future rencontre au moindre détail, ma mère commandait la galette charentaise ou plus exactement la «galette de Marencennes», car c'est dans ce petit village, à quelques kilomètres de chez nous, qu'un pâtissier talentueux faisait sa renommée. Mon père jouait les grands seigneurs «passes donc commande d'une dizaine de galettes, elles se conserveront bien ! ». Et deux jours plus tard, la petite fourgonnette de M. Clair arrivait à destination ! Moi, j'avais l'impression qu'elle arrivait de loin cette galette du bonheur ! Évidemment, il fallait ensuite choisir le vin adéquat.

Arrivait enfin le jour J ! Ne croyait pas qu'il s'agissait d'un repas, ou d'une réjouissance familiale, cette visite était uniquement un tête à tête de 2 ou 3 heures entre Edmond et mon père. Un après-midi à échanger leurs souvenirs de guerre dans la joie et la bonne humeur ! Moi, j'écoutais sans entendre cette drôle de guerre qui les faisait rire. Puis, Edmond se levait, les yeux soudain embués de larmes, « c'est bien beau tout ça mais maintenant faut que je rentres». La nuit était tombée, le bonheur aussi, chacun reprenait le cours de sa vie en se promettant avant de se quitter que la prochaine fois, on ne resterait pas si longtemps sans se voir. Dans le petit cimetière du village, Paul et Edmond continuent peut-être leur conversation... J'ai cru longtemps que Edmond parcourait la France pour venir voir mon père, il habitait seulement à l'autre bout du village. Un 6 janvier, maman a rejoint mon père, c'était curieusement jour de Galette !